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L’échec coûte trop cher en Europe
Yann Coatanlem, zvg.

L’échec coûte trop cher en Europe

Le continent n’est pas assez compétitif. Une des raisons principales, c’est un droit du travail en général trop strict qui prive les entrepreneurs innovants de la capacité de rebondir rapidement.

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L’Europe n’innove pas assez. Et la conséquence immédiate est qu’elle est de moins en moins compétitive et qu’elle s’appauvrit. Longtemps dans le déni, elle ne peut plus ignorer les constats accablants du rapport Draghi. Mais gare à la pléthore de fausses bonnes idées qui circulent ! L’Europe n’a pas besoin de remettre en cause son modèle social et de se lancer dans une sorte de surenchère néolibérale pour concurrencer le reste du monde. En fait, à condition de savoir se réformer sur quelques points précis, elle a toutes les cartes en main pour sortir de sa torpeur et même dépasser les Etats-Unis.

Manque de performance des investissements

Il ne faut pas se tromper sur le diagnostic de Mario Draghi : l’Union européenne a longtemps été compétitive face aux Etats-Unis, en gros jusqu’à 2010. C’est important de garder cela en mémoire lorsque l’on imagine des solutions de rattrapage de notre économie. Pourquoi en particulier le manque de financements serait-il soudainement si préjudiciable ? Certes les marchés financiers sont moins développés en Europe qu’en Amérique, mais les investisseurs internationaux compensaient largement tant que la profitabilité des projets européens était suffisamment élevée.

Lorsque l’on interroge les grands fonds souverains et les patrons d’entreprises internationales, ils disent tous vouloir investir davantage en Europe pour des raisons évidentes de diversification de leurs portefeuilles, mais ils en sont dissuadés par le manque de performance des investissements sur notre continent. La domination américaine vient de la surperformance d’une économie reflétée dans la composition des indices d’action internationaux, très concentrés dans les entreprises américaines – par exemple, l’indice MSCI est investi à plus de 70 pour cent aux Etats-Unis.

Les innovations radicales sont risquées

Comment en est-on arrivé là ? Ce que dit également Draghi, c’est que l’essentiel du décrochage européen est dû à la révolution numérique, portée par ce qu’on appelle les innovations de rupture ou encore l’innovation radicale. Il faut donc se poser une question simple : qu’est-ce qui est unique dans la tech et la distingue d’autres secteurs de l’économie ? Ce que nous avons identifié avec mon co-auteur Olivier Coste dans un papier publié par l’université de Bocconi 1, c’est que la grande particularité de l’innovation radicale, c’est son taux d’échec élevé, qui peut être très préjudiciable quand le coût de l’échec est également élevé. Or l’Europe dans son ensemble est handicapée par un coût de l’échec très supérieur à celui des Etats-Unis.

Lorsqu’elles sont confrontées à des changements technologiques abrupts, les entreprises européennes ne sont pas suffisamment agiles pour remettre en question rapidement leurs orientations stratégiques et à un coût compétitif. Prenons des exemples très concrets. En 2023, Meta a opéré un tournant ver l’IA en se séparant de 20 000 de ses collaborateurs (25 pour cent de ses effectifs), en investissant dans le même temps des dizaines de milliards de dollars en capital physique et en embauchant des milliers de nouveaux profiles, tout cela en moins de 6 mois, et en coûts équivalents à quelques mois de salaires. A l’opposé, une entreprise allemande comme ThyssenKrupp a mis plus de quatre ans à licencier 13 000 employés : à la fin de 2024, l’entreprise n’avait mis en place que 95 pour cent d’une restructuration décidée en 2019. Pour des projets à la frontière technologique, une telle lenteur de réactivité peut facilement se révéler fatale. Un autre plan de restructuration décidé par la même firme en 2024 devrait couter 3 ans de salaire par employé licencié.

Il y a donc là un ordre de grandeur de différence de coût et de durées d’exécution. Cela a des conséquences évidentes sur l’évaluation des projets à haut risque : le coût très élevé des nombreux scénarios négatifs peut facilement plomber leur profitabilité, de sorte que le même investissement peut apparaitre rentable aux Etats-Unis et pas du tout viable en Europe. Notons d’ailleurs que si nous sommes les premiers à avoir quantifié de façon fine les différentiels de coût de restructuration, il existe une littérature académique très robuste expliquant comment le manque de souplesse des droits du travail européens forcent les entreprises à se cantonner aux innovations dites marginales 2.

Flexibiliser le système social

Notre constat a été repris par le rapport Draghi, puis par le European Innovation Council 3 et le Competitiveness Compass de la Commission européenne, qui a fait de la question du coût de l’échec un point central de son plan d’action.

Que faire alors ? Les exemples de réforme ne sont pas à chercher du côté des Etats-Unis, mais plutôt du côté des pays européens qui comme le Danemark ou la Suisse pratiquent une forme de flexisécurité alliant une grande souplesse de restructuration pour les entreprises et un système social généreux et efficace pour les employés. Le choix de ces modèles européens est doublement satisfaisant : non seulement on peut conserver un haut degré d’équité et de protection sociales, mais on peut aussi espérer une meilleure performance économique : nous estimons que l’investissement privé en R&D dans l’innovation radicale représente 2,9 pour cent du PIB en Suisse contre seulement 1,6 pour cent aux Etats-Unis, preuve qu’un modèle européen peut être très puissant !

Nous considérons d’ailleurs qu’il n’est nul besoin d’implémenter une flexisécurité générale pour l’ensemble des employés. Celle-ci pourrait certes être bénéfique à long terme, mais elle représente un changement de culture très important pour certains pays. Comme les restructurations liées à l’innovation radicale concernent surtout des ingénieurs très bien payés, à la formation technique très solide et facilement transposable à d’autres entreprises, on pourrait limiter la flexisécurité au top 5 ou 10 pour cent des salaires.

Dans certains domaines comme la régulation des données (GDPR) et les obligations CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) imposées aux entreprises dans le contexte du changement climatique, on peut considérer que l’Union européenne a eu parfois la main lourde. Mais dans le domaine du droit du travail, où elle n’a pas de compétence particulière, elle pourrait jouer un rôle d’intermédiaire entre les gouvernements nationaux et les inciter soit à réformer au niveau national, soit à adopter un 28ème régime social commun à l’ensemble de l’UE. La Commission européenne envisage d’ailleurs cette piste, qui pourrait coexister, ou pas, avec les régimes nationaux.

Malgré l’urgence de réformer notre continent, les progrès sont pourtant très lents, à commencer par la prise de conscience des gouvernements nationaux et des opinions publiques. Même une forte attention des médias réputés 4 ne suffit pas à créer les conditions d’un vrai débat public. L’ironie est que le cheminement des idées innovantes dans la sphère politique est beaucoup plus lent que dans l’industrie. Et pourtant les réformes proposées ici devraient avoir un impact gagnant-gagnant.

  1. Y. Coatanlem, O. Coste (2024). Cost of Failure and Competitiveness in Disruptive Innovation. Bocconi University.

  2. M.A. McGowan, D. Andrews, C. Criscuolo, & G. Nicoletti. (2015). The Future of Productivity. OECD (Section 4.3)

  3. EIC (2024). Policy Orientations 2024.

  4. M. Wolf (2024). How to make European industrial policy work. Financial Times

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