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Décadence et probité
Michel Onfray, zvg.

Décadence et probité

Le déclin de l’Occident judéo-chrétien est inévitable. Nous devrions au moins nous opposer à son remplacement par une civilisation nihiliste et post-humaine.

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Je lis et relis les textes de Hegel sur la philosophie de l’histoire et je souscris à sa lecture des dynamiques des civilisations. Il ne défend pas un modèle vitaliste car il croit moins à la Vie comme principe actif de ce qui est, qu’à ce qu’il nomme la Raison, le Concept et l’Idée qui ne sont jamais que des façons philosophiques de nommer la bonne vieille Providence chrétienne. De sorte que, quand il écrit que la Raison conduit l’Histoire il faut entendre et comprendre que c’est la Providence qui conduit l’Histoire ! Ce qui n’est guère plus philosophiquement avancé que la thèse de Bossuet dans son Discours sur l’histoire universelle. Hegel c’est Bossuet pour les idées chrétiennes et Kant pour le vocabulaire de l’idéalisme allemand !

Pour ma part, je ne crois pas à cette Providence, je suis athée, mais à la Vie, je suis nietzschéen. Nietzsche a montré qu’il y avait dans la vie une vie qui veut la vie, c’est la volonté de puissance. Elle est active dans tout ce qui est : de l’infiniment petit du ciron cher à Pascal à l’infiniment grand des cosmos de la pluralité des monde chers à Épicure.

Or ce qui vit obéit à un même schéma : naissance, croissance, puissance, décadence, sénescence et disparition. Les civilisations, comme les vies humaines, subissent cette loi à laquelle rien ni personne ne saurait échapper.

Il suffit de solliciter l’histoire pour comprendre l’Histoire : les civilisations mégalithiques ont disparu en emportant leurs secrets avec elles. Des alignements de Carnac à la structure circulaire de Stonehenge en passant par les Moaï de l’île de Paques ou les monuments Bonnanaro sardes, les témoignages ne manquent pas en faveur de ce schéma civilisationnel qui va de la naissance à la mort via la décadence. Il y a eu Sumer, Assur, Babylone, l’Égypte, la Grèce, Rome, toutes ces civilisations sont mortes. Elles ont été remplacées par l’Europe qui meurt, et sera remplacé elle aussi, bien sûr.

La décadence est donc une fatalité, elle est inscrite dans le destin de tout ce qui vit : la sénescence est la forme prise par la décadence chez un individu. Nous vivons dans cette période.

L’Occident n’étant pas réductible à l’Europe, il durera ailleurs et autrement : l’Occident c’est le monde organisé à partir du judéo-christianisme. Sa partie fortement industrialisée et hyper-technologique comporte l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis bien sûr. C’est de ce côté-là que se joue désormais l’avenir de notre civilisation dans une nouvelle civilisation qui s’en inspirera, la remplacera tout en la dépassant.

Les GAFAM veulent une civilisation du posthumain !

Elon Musk y travaille avec ses sociétés.

Les GAFAM veulent une civilisation du posthumain ! Elon Musk y travaille avec ses sociétés : Space X pour envisager le moment, inéluctable lui aussi, quoi qu’en disent les adeptes de la religion écologiste, où il faudra quitter la terre devenue invivable, dépourvue de vie végétale, animale et humaine et où le soleil explosera. Tesla est pour lui l’occasion de travailler à des batteries alternatives et à des intelligences artificielles pendant que Neuralink lui permet d’œuvrer à la production d’un Homme Nouveau, une chimère qui associe le vivant et le numérique via le puçage neuronal. Pour l’heure, il a réussi à implanter un micro-processeur dans le cerveau d’une truie nommée Gertrude, ce qui veut dire que rien de technique ne l’empêche désormais de procéder ainsi avec des humains. Un homme cyborg propulsé dans l’espace par des moteurs aux énergies inédites pilotées par des intelligences artificielles déconnectées de la terre pour envisager une vie sur une autre planète, sinon une vie extra-terrestre dans une cité spatiale, voilà ce avec quoi il faut désormais compter en matière de civilisation à venir.

Rien ne peut s’opposer à ces recherches avouées par Elon Musk. D’autant que d’autres blocs civilisationnels y travaillent probablement aussi : je ne peux imaginer que la Chine, un pays emblématique du totalitarisme numérique et du contrôle social par les écrans, n’y travaille pas ! A l’abri du monde, peut-être même dans l’une de ces unités qui font songer au fameux laboratoire mystérieux de Wuhan, y-a-il des équipes qui travaillent à produire ces chimères d’Hommes Nouveaux ! Je ne sais pas où en est la Russie, engluée comme on sait dans une guerre qui ravage toutes ses potentialités. Ni même ce que fait le sous-continent Indien en la matière.

Mais aucune force éthique, aucune puissance morale, ne pourra s’opposer à ce mouvement de l’Histoire qui va vers une civilisation unifiée, globale et globalisante, avec un État total piloté par un gouvernement planétaire.

L’actuel mouvement de décadence en Europe vise un seul et même objectif : réifier ! La réification consiste à tout transformer en marchandise susceptible d’être échangée, monnayée, vendue, achetée. Il faut remplacer les pyramides, les agoras, les forums, les Églises par de vaste Data centers qui, avec les algorithmes adéquats, utiliseront les informations fournies par les internautes sur le principe de la servitude volontaire, afin de produire du consentement.

L’actuel mouvement de décadence en Europe vise un

seul et même objectif : réifier !

La dictature ne s’imposera pas sur le principe du 1984 d’Orwell ou du Meilleur des mondes de Huxley, mais sur celui de la manipulation des consciences via les datas – ce qui est déjà le cas. Le magnifique film de Toby Haynes Brexit (2018) montre tout cela de façon glaciale. Emmanuel Macron a déjà été élu deux fois à la présidence de la république française avec ces méthodes. Nous sommes aux balbutiements d’une stratégie totalitaire nouvelle.

La dictature ne s’imposera pas sur le principe du 1984 d’Orwell ou du Meilleur des mondes de Huxley, mais sur celui de la manipulation des consciences via les datas –- ce qui est déjà le cas.

La guerre qui se joue actuellement en Ukraine s’inscrit dans cette configuration : c’est une guerre que se livrent les États-Unis et la Russie, bien sûr. Nul n’est dupé. C’est une guerre de civilisation entre la Russie qui ne veut pas du modèle européiste issu du protestantisme germano-nordique et l’Ukraine qui souscrit absolument à ce modèle. Les États-Unis ont profité de la chute de l’URSS pour avancer leurs pions de façon à pouvoir dire un jour : échec et mat à la vieille Europe. (Permettez-moi une parenthèse : le 6 juin 1944, lors du Débarquement des Alliés en Normandie, le projet était déjà de vassaliser l’Europe et d’en faire un État supplémentaire sur le drapeau américain. Je rappelle pour information que le nom de code de l’opération était Overlord, autrement dit Suzerain, on ne peut mieux avouer son forfait. Ce débarquement devait s’accompagner d’une politique dite d’AMGOT – une administration militaire (sic) des territoires occupés – avec monnaie d’occupation et administration américaine afin de prendre les commandes de la France. Le général de Gaulle s’y est opposé. Tous ses suivants à la tête de l’État français ont en revanche travaillé à ce projet. J’ajoute à cela que le drapeau américain avec les treize premiers états comporte dans le canton supérieur côté mât un drapeau qui est celui, aujourd’hui, de l’Europe – c’était entre le 14 juin 1777 et le 1er mai 1795).

En vertu de leur logique impérialiste, les USA ont donc vassalisé en Europe de l’ouest nombre de pays qui relevaient de l’ex-URSS. Ce qui correspond à des pièces poussées et placées sur l’échiquier en vue du mat. Poutine dit combattre contre un Occident décadent, pourri, corrompu, immoral. Il oublie qu’il n’échappe pas lui aussi à ce constat !

Zelenski choisit son camp qui est celui des États-Unis, donc de l’Europe consumériste maastrichienne. Certes il défend une nation, il l’a crée en même temps en orchestrant la résistance de son peuple à l’invasion. Cet ancien clown médiatique, jadis oligarque ayant détourné des milliards placés dans des paradis fiscaux, travaille à l’existence d’une nation, mais pour mieux la vassaliser le temps venu aux États-Unis via son entrée dans la Communauté Européenne.

Cette Europe-là sera le camp de vacances des milliardaires des GAFAM – avec vins, cuisine, gastronomie, paysages, climat. Rappelons qu’avant-guerre l’Ukraine était le pays avec le plus grand nombre des gestations pour autrui au monde. C’était donc le pays du monde qui vendait le plus d’enfants aux acheteurs de cette… viande réifiée !

Seule une résistance que je dirai romaine est possible : rien n’empêchera ce mouvement nihiliste de l’Histoire. Nous vivons la chute de l’Empire judéo-chrétien en Europe. La Rome à laquelle je renvoie est celle de Caton l’Ancien qui constatait la fin d’un monde, la République vertueuse, et l’avènement d’un monde corrompu. Nous y sommes.

On ne change pas le monde seul, personne n’inverse le cours de l’histoire. Hegel, toujours lui, nous apprend que le Grand Homme faisait moins l’histoire qu’il n’était fait par elle. Et, ces temps-ci, l’histoire ne produira de grand homme que dans l’accélération du mouvement nihiliste et décadent.

Le bateau coule, nous sommes sur le Titanic. On n’empêchera pas la collision avec l’iceberg ni le naufrage. L’Europe judéo-chrétienne va couler par le fond. Soyons, du moins, comme Caton l’Ancien sur le pont, dignes et droits, debout et probes : il ne faut pas que le nihilisme passe par nous. La probité est la seule résistance qui nous reste.

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